Technique et science
Plan :
Pour l'homme contemporain technique et science semblent de plus en plus imbriquées. Comment lui donner tort ?
L'ordinateur par exemple est un ensemble d'opérations techniques, mais la conception a nécessité des études de nature proprement scientifique (Mathématiques et logique).
Penser les rapports entre la science et la technique c'est s'interroger sur les questions suivantes : La technique est-elle antérieure à la science ou au contraire la science précède t-elle la technique ? Une technique fait-elle nécessairement naître une, science et inversement une technique est-elle nécessairement engendrée par une science ? Une science pour progresser a-t-elle nécessairement besoin du progrès technique, une technique du progrès scientifique ?
La science consiste à énoncer des lois ou théories qui permettent de connaître la réalité.
Alexandre Koyré dans Etudes d'histoire de la pensée philosophique (article les philosophes et les machines) montre qu'historiquement la science est indépendante de la technique.
Dans l'histoire humaine c'est la technique qui précède la science et non l'inverse. Aussi loin que l'on remonte dans l'histoire de l'humanité on trouve la présence d'outils ce qui nous fait définir l'homme comme homo faber. Ce n'est que progressivement que l'homme s'est élevé à la pensée abstraite, spéculative.
Avant de savoir compter et de parvenir à la numération de position (1,2,3,4...) nos lointains ancêtres se servaient d'os d'animaux dans lesquels ils faisaient des encoches à chaque fois qu'ils voulaient comptabiliser le butin de la chasse. Ce système est vieux de 20 000 à 35 000 ans et atteste d'une technique de la comptabilité, d'histoire universelle des chiffres. Georges Ifrah).
Dans l'antiquité la science et la technique sont deux domaines distincts. (techné et epistémé).
La technique est l'affaire de l'artisan, ou celle de l'ingénieur (inventeur de machines). Si la technique est dévalorisée, voire méprisée c'est d'une part parce qu'il s'agit d'une activité manuelle (potier, cordonnier etc..) en ce qui concerne l'artisan, s'ajoute à cela d'autre part l'idée que l'industrie a pour but de satisfaire ce qu'il a de plus inférieur en l'homme, le désir de richesse. (Aristote).
L'ingénieur n'est pas mieux considéré car trouver des applications pratiques à la science c'est déchoir, déroger.
Le savant, le philosophe s'adonnent à des activités spéculatives, désintéressées. Les grecs ont fait des mathématiques, une discipline libérale (les grands noms = Thaïes, Pythagore, Euclide).
Platon les situe dans le monde Intelligible (paradigme de la ligne livre VI de la République). La philosophie est la science reine (dernière partie de la ligne) et c'est dans la contemplation que réside le bonheur (Aristote).
L'activité spéculative est supérieure aux formes les plus hautes de l'activité pratique.(Aristote Ethique à Nicomaque).
Ainsi Archimède connu la postérité pour des travaux en Mathématiques, il fut le premier à Remontrer que la droite est le chemin le plus court d'un point à un autre, à donner une valeur approchée de pi exacte au dix-millième, à calculer le volume et la surface d'une sphère, etc.. Il créa la science de l'hydrostatique et énonça la loi : que tout corps plongé dans un liquide reçoit une poussée de bas en haut égale au volume d'eau déplacée. La liste est encore longue dans le domaine de la science. Mais il fut aussi un ingénieur remarquable auteur de nombreux procédés de roues dentées de moulin et de vis à eau, de grues à poulies et de machines de guerre à levier lançant des blocs de pierre dans les airs.
Curieusement il ne laissa aucun écrit pour décrire les procédés de ces machines et de l'avis de Plutarque : « Tout art qui apporte quelque utilité à mettre en usage, vil, bas, mercenaire, il employa son esprit et son étude à écrire seulement choses dont la beauté et subtilité ne fut aucunement mêlée à la nécessité».
(Archimède).
Cette attitude se trouve renforcée par l'idée que la nature est supérieure à l'art :
« la Techné ou bien imite la physis, ou bien effectue ce que la nature est dans l’impossibilité d'accomplir » Aristote - Physique.
Science et technique ne se mêlent pas.
«Aussi surprenant que cela puisse paraître, on peut édifier des temples et des palais, et môme des cathédrales, creuser des canaux et bâtir des ponts, développer la métallurgie et la céramique, sans posséder de savoir scientifique, ou en en possédant que des rudiments. La science n'est pas nécessaire à la vie d'une société, au développement d'une culture»
Alexandre Koyré.
Pour se convaincre de ces propos, on peut montrer que l'esprit pratique et technique des romains et des gaulois se passait de connaissances scientifiques.
En physique, en chimie, en mathématiques très insuffisantes.
Il semblerait qu'à la fin du Moyen Age et surtout à la Renaissance va se développer une autre mentalité. La vie active prend le dessus sur la vie contemplative.
Les villes se développent, ainsi que le commerce et l'industrie. On construit les cathédrales, d'où le perfectionnement des techniques. Au XVIIIème siècle apparaît le gouvernail d'étambot qui va transformer les conditions de la navigation et permettre les voyages d'exploration;
La science commence à pénétrer à l'intérieur de toutes les pratiques empiriques. Léonard de Vinci proclame que «la mécanique est le paradis des sciences mathématiques». Nous pouvons également rappeler le désir de Descartes de faire pénétrer la théorie dans l'action autrement dit d'imaginer une technologie.
Ce qui le conduit à un tel projet c'est le spectacle du progrès, surtout ceux faits dans la construction des machines. C'est de la conversion de la théorie à la pratique que Descartes attend le progrès qui rendra l'homme : « comme maître et possesseur de la nature.
(Discours de la méthode : Vème partie.)
Dès lors que la science pénètre la technique «le monde de l'à-peu-près» s'efface progressivement pour laisser place à l'univers de la précision, (expressions que Ton doit à Koyré).
Alors que les machines étaient approximatives rien n'est calculé, les machines deviennent et deviendront de plus en plus précises au point qu'aujourd'hui on peut remplacer l'homme dans les travaux de haute précision (pensons au laser en micro chirurgie par exemple).
Conclusion : Nous avons fait apparaître que science et technique n'ont pas une histoire commune mais bien distincte.
Le télescope (lunette astronomique) doit son invention selon Descartes à un certain Jakob Métius Le principe des verres grossissants était connu depuis 1270 date à laquelle Roger Bacon (1214-1213) étudie les lentilles concaves qui rapetissent les objets éloignés, mais les rendent nets) et les convexes qui les grossissent , mais les rendent flous. Le principe de la lunette était acquis mais il a fallu attendre le début du XVIIème siècle pour en réaliser une. Les connaissances en optique, n'étant pas, à l'époque, très développées, il est probable que, quel que soit l'inventeur (peut être l'artisan hollandais Mans Lippershey) sa découverte de l'effet grossissant obtenu en superposant une lentille convexe et une lentille concave soit due au hasard et non à la recherche raisonnée d'un effet précis.
La Dioptique : Descartes donna une théorie des lentilles. Grâce à lui il devint possible de calculer le grossissement d'une lunette, de connaître la distance à mettre entre deux lentilles pour disposer du grossissement maximal.
Descartes dans son traité la Dioptique (1637) expose son programme de recherches scientifiques suscité par cette invention Connaître les choses empiriquement ne suffit pas, il faut les établir avec rigueur.
La lunette astronomique dès lors n'a cessé de se perfectionner.
C'est un insuccès technique qui a posé le problème de la pression atmosphérique. En 1641 des fontainiers de Florence ont un problème technique qu'ils soumettent à Galilée : Pourquoi l'eau pompée dans les puits et les fontaines s'arrête-t-elle systématiquement à 10,33 m de haut, le reste des tuyaux restant obstinément vide. Comment expliquer le vide persistant au-delà de 10,33 m. Ce sont deux physiciens amis de Galilée (Toricelli 1608-1647 et Viviani 1622-1703) qui comprirent que c'est le poids de l'air qui est responsable de la montée de l'eau en mettant en place une expérience où ils remplacèrent l'eau par du mercure.
L'explication théorique du phénomène on le doit à PASCAL (il a l'intuition mécanique du poids de l'air, lequel doit varier selon que l'on se trouve en plaine ou en montagne -expérience du Puy- de Dôme.
Une technique peut aussi accroître le champ scientifique
Le développement du verre a eu une fonction importante sans lui la nouvelle astronomie aurait été inconcevable, la bactériologie impossible.
L'éprouvette, le baromètre, le thermomètre, la plaque du miscroscope sont tous des produits de la technique du verre.
La science joue un rôle de plus en plus important dans la production, au point qu'il n'y a plus un seul secteur où elle n'intervienne.
Par exemple toutes les industries qui utilisent les dérivés du pétrole (matières plastiques, textiles artificiels) n'existent que grâce au développement antérieur des connaissances en chimie.
Industrie pharmaceutique a été elle-même rendue possible par cette science. Un exemple frappant l'informatique.
L'informatique s'appuie sur le raisonnement logique. Les ordinateurs incarnent dans leurs circuits la logique de Boole (1815-1865 logicien et mathématicien anglais). Cette logique va prendre toute son importance avec l'invention des ordinateurs. Elle est à la base même de leur construction et par extension de l'informatique.
L'ordinateur est à la fois un outil (donc une technique) mais pas comme les autres.
Il a envahi tous les domaines d'activité. Il rend des services à toutes les disciplines qui recueillent et interprètent des informations (sciences humaines par exemple). Mais il semble aussi que par sa puissance combinatoire il contribue au développement de la créativité, de l'imagination.
Par exemple :
En mathématiques : Le théorème des quatre couleurs a été démontré par le calcul informatique. Pour colorier une carte de géographie et faire apparaître toutes les zones (plaines, montagnes etc.) 4 couleurs suffisent.
En architecture (navale par exemple, ou même architecture tout court). Elle permet la simulation : atout majeur pour les sciences comme la physique atomique (réalisation d'explosion atomique).
En Art : musique (synthétiseur) - cinéma (images de synthèse).
En médecine : Il aide le médecin à établir un diagnostic plus juste.